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Le Brésil affaibli par une corruption endémique

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Dilma Rousseff et Luiz Inacio Lula da Silva, le 2 septembre à Sao Bernardo do Campo. Paulo Whitaker/Reuters

Dilma Rousseff et Luiz Inacio Lula da Silva, le 2 septembre à Sao Bernardo do Campo. Paulo Whitaker/Reuters

La corruption est endémique en Amérique latine, comme le montre l’Indice de perception de la corruption 2014 de l’ONG Transparency International, diffusé le 3 décembre. A l’exception du Chili et de l’Uruguay, aucun pays de la région ne fait bonne figure. Les mauvaises pratiques prédominent, du Mexique à l’Argentine, en passant par le Venezuela, la Bolivie ou encore le Paraguay, sans oublier le Brésil, où la présidente, Dilma Rousseff, doit faire face à une affaire de plus en plus embarrassante pour les partis de sa coalition.

A la mi-novembre, la justice a lancé, lors d’une opération baptisée « Jugement dernier », 85 mandats d’amener et ordres de perquisition touchant neuf entreprises du BTP (bâtiment et travaux publics) qui travaillent pour Petrobras, l’entreprise pétrolière contrôlée par l’Etat. Aux deux directeurs de Petrobras détenus, Paulo Roberto Costa et Renato Duque, sont venus s’ajouter trois PDG d’entreprises du BTP – José Aldemario Pinheiro Filho (OAS), Dalton dos Santos Avancini (Camargo Correa), Ricardo Pessoa (UTC) – et une douzaine de hauts responsables.

De quoi sont-ils accusés ? D’avoir formé de longue date un cartel pour se partager les marchés publics, systématiquement surfacturés, et d’avoir versé des pots-de-vin, une commission de 1 % à 3 %, destinés aux partis de la coalition gouvernementale. Les bénéficiaires de cet argent sont le Parti des travailleurs (PT, gauche) de la présidente Dilma Rousseff, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) du vice-président Michel Temer, et le Parti progressiste (PP, droite) de Paulo Maluf, ancien gouverneur de Sao Paulo et symbole de la corruption politique.

« Je pense que l’enquête peut changer le Brésil pour toujours, dans la mesure où on va en finir avec l’impunité », a déclaré Dilma Rousseff. Et d’ajouter : « C’est la première enquête sur la corruption au Brésil qui englobe les secteurs privés et publics. » La présidente tente ainsi de préserver son image d’incorruptible, qui n’a pas hésité, dès sa première année de mandat, en 2011, à se séparer de sept ministres soupçonnés d’indélicatesses. Le problème est que, sous la présidence Lula, elle était ministre de l’énergie (2003-2005), puis la toute-puissante chef de cabinet. Et pendant une bonne partie de la période concernée par l’enquête, elle a présidé le conseil d’administration de Petrobras (2003-2010). Selon un sondage Datafolha, 68 % des Brésiliens estiment que sa responsabilité est engagée.

D’ores et déjà, le trésorier du PT, João Vaccari Neto, est soupçonné d’être personnellement impliqué dans l’affaire Petrobras-BTP. La Cour des comptes brésilienne estime que les malversations à Petrobras s’élèveraient à 3 milliards de reais (près d’un milliard d’euros). Cependant, selon l’enquête en cours, le blanchiment des sommes surfacturées et versées sous forme de dessous de table aurait atteint 10 milliards de reais depuis dix ans. L’enquête risque d’être d’autant plus accablante que les liens entre la classe politique et les fleurons de l’économie sont étroits.

L'alliance entre le BTP et le pouvoir

Au Brésil, la corruption politique a changé de dimension avec la construction de Brasilia, au début des années 1960. L’alliance entre les pouvoirs publics et les grands groupes du BTP remonte à cette époque. Elle n’a jamais été remise en question, ni pendant les années de dictature militaire (1964-1985), ni depuis le retour de la démocratie, quels que soient les partis au pouvoir.

Plusieurs groupes du BTP brésilien sont présents à l’international, où ils ont souvent opéré en eaux troubles. Ainsi, le géant Odebrecht, soupçonné d’avoir participé au cartel dans le collimateur de la justice, a fait de juteuses affaires en Angola pendant les années de guerre civile.

L’ancien syndicaliste Luiz Inacio Lula da Silva, devenu président de la République en 2003, s’est souvent fait le VRP de ces groupes. Odebrecht a pu ainsi décrocher des grands marchés à Cuba (l’élargissement du port de Mariel, chantier stratégique) ou au Venezuela, sans s’embarrasser d’appels d’offres. Depuis qu’il a quitté la présidence, le BTP a généreusement financé ses voyages à l’étranger pour le compte de l’Institut Lula.

Les élections présidentielle et législatives d’octobre 2014 ont été les plus chères de l’histoire brésilienne. Les campagnes ont été largement financées par les entreprises du BTP actuellement aux prises avec la justice pour leurs contrats surfacturés avec Petrobras. L’entreprise pétrolière est cotée en Bourse de New York mais reste contrôlée par l’Etat.

Il y a un précédent à l'affaire Petrobras-BTP : le scandale dit du « mensalao » (grosse mensualité) était déjà destiné à financer illégalement des campagnes électorales. Il avait failli coûter sa réélection à Lula, qui avait dû sacrifier son bras droit, José Dirceu, et autres dirigeants du PT, condamnés par la Cour suprême après plusieurs années de procédure (2005-2012).

Après avoir dit que le PT faisait comme les autres partis, sa direction a alors pris la défense de ces condamnés, comme s’il s’agissait de « prisonniers politiques ». Avant son arrivée au pouvoir, le PT avait pourtant joué les chevaliers blancs, prêts à dénoncer la corruption de toutes les autres formations, notamment à l’occasion de la réforme constitutionnelle autorisant la réélection présidentielle et lors des privatisations sous la présidence du social-démocrate Fernando Henrique Cardoso (1995-2003).

L’ambiguïté sur le « mensalao » et d’autres indélicatesses a pesé lourd aux élections d’octobre, car le PT a reculé, même si Dilma Rousseff a été réélue à l’arraché : les vieux bastions PT de Sao Paulo et du Rio Grande do Sul, où avait commencé son implantation, se sont effondrés.

Les Brésiliens s’étaient dressés une première fois contre la corruption. Des manifestations d’une ampleur inédite avaient poussé à la démission le président Fernando Collor de Mello, en 1992, pour éviter un impeachment (destitution) au Congrès. Mais ensuite l’opinion avait décroché et les affaires avaient repris de plus belle.

Les affaires de corruption ont été révélées et sanctionnées au Brésil grâce à la vigilance et à l’opiniâtreté de trois institutions : la police fédérale, la justice et la presse. Leur indépendance ne plaît pas à tout le monde. Le gouvernement a fait un effort louable de transparence et l’équivalent de la Cour des comptes fait son travail. Une loi exige que les candidats n’aient pas de casier judiciaire, mais elle émane d’une initiative citoyenne. A l’évidence, ce n’est pas assez.

Le financement des campagnes électorales ainsi que le statut des partis demandent à être reformés. Il y a 28 partis politiques représentés au Congrès. Presque toutes ces formations sont invertébrées, n’ont pas la moindre identité ou programme. Les alliances au gouvernement, comme du côté de l’opposition, sont purement opportunistes, des échanges de postes et de prébendes de l’État.

La réforme politique n’est pas la seule absente de l’agenda. Il faudrait y ajouter la réforme fiscale, la réforme de la sécurité publique, celle de la santé publique et de l’éducation, etc. La corruption révèle une maladie plus profonde : les réformes sans cesse remises aux calendes grecques par des hommes et des femmes politiques qui se contentent de gérer un pays continent à la petite semaine.


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